On ne s’était pas dit rendez-vous dans 30 ans, et pourtant …

♫ On s’était dit rendez-vous dans 10 ans
Même jour, même heure, mêmes pommes
On verra quand on aura 30 ans
Sur les marches de la place des grands hommes ♫
Patrick Bruel

Au hasard d’une publication Facebook, une de mes meilleures amies d’enfance me propose de venir la voir chez ses parents au matin de ce 2 janvier avec une autre meilleure amie. Nous étions un trio voire un quatuor de copines.

J’ai accepté son invitation. L’émotion et l’angoisse de les retrouver est montée au fur et à mesure que l’heure approchait. Je me demandais ce que j’allais dire, est-ce que nous serions des inconnues en face à face ou bien nous allions tomber dans les bras de l’une et de l’autre.

Je me prépare pour y aller en transports, le bus me dépose à proximité de chez elle. J’ai l’estomac un peu noué par ces retrouvailles de copines de primaire que j’ai perdues de vue en CM2, soit quasiment 30 ans.
Ma scolarité était un peu spécifique puisque je n’allais pas à l’école du quartier mais toujours un peu plus loin de mon domicile. J’étais en intégration dans des classes d’entendants, cette école primaire avait ce système tout en ayant une classe d’enfants sourds et une équipe d’orthophonistes intégrés à l’école.

Les retrouvailles

Arrivée devant le portail, je sonne. J’attends en me disant que quelqu’un va sortir m’ouvrir, et … non, la porte s’ouvre, c’est ma meilleure amie de la primaire qui sort et qui me tend les bras.
Comment rester stoïque ? C’est ma Virginie avec qui j’ai passé des heures à l’école, avec qui j’étais tout le temps. Je m’approche de Virginie, je me mets à craquer d’émotion. Trop heureuse de la retrouver. Je réalise que je n’avais jamais imaginé la revoir.
Quelques minutes passent, elle recule et me dit que Ingrid est arrivée.

Nous entrons dans la maison. Je retrouve Ingrid les yeux déjà embués, je tombe dans les bras de ma deuxième copine d’enfance Ingrid.
Celle avec qui j’ai passé tout autant de temps que Virginie, avec en prime le mercredi en centre de loisirs quand c’était possible, car ma maman travaillait à la maison.

On commence à parler, 30 ans c’est du temps passé. C’est l’eau qui a coulé sous les ponts. Chacune a fait sa vie de son côté et on raconte nos différents parcours jusqu’à aujourd’hui sans pour autant rentrer dans le détail. Je me rends compte que mes souvenirs ne sont pas les mêmes qu’Ingrid et Virginie. Je m’aperçois que j’ai effacé de ma mémoire des choses qui n’étaient pas de bons souvenirs.

Anecdotes

Dans les dernières années de la primaire, je portais apparemment un appareil différent, l’instituteur avait lui un micro relié à mes appareils. Mes amies m’ont dit qu’il se masquait la bouche avec une feuille pour faire la dictée.
C’est un moment difficile d’enfant que j’ai effacé de ma mémoire et je me dis aujourd’hui, c’est cruel d’avoir fait ça de me forcer à essayer de comprendre sans même lire sur les lèvres. C’était probablement une méthode de l’époque qui je l’espère, n’est plus pratiquée de nos jours…
Être sourde, c’est une chose, ne pas avoir assez de récupération auditive pour pouvoir entendre ce que disent les gens sans les regarder à 8 ans, c’est une chose difficile à vivre. Aujourd’hui, je ne supporterai pas quelqu’un qui masque sa bouche volontairement. Je communique oralement mais j’ai besoin de voir les gens, de voir leurs lèvres bouger, leur visage s’illuminer pour pouvoir entrer en communication avec eux.

Mes parents avaient aussi marqué leur esprit, ma maman par sa présence quotidienne, mon papa qui avait aidé à l’installation des premiers ordinateurs à l’école primaire … L’arrivée de ces ordinateurs, c’est quelque chose dont je ne me rappelle pas et qui est pourtant partie intégrante de ma vie aujourd’hui.

J’ai enfin pu recoller certains morceaux de mon enfance ce matin. J’avais la mémoire des lieux, des personnes, des événements passés mais pas les noms ni les villes.
Elles ont évoqué une classe verte dans la Creuse, j’ai eu l’agréable sensation de pouvoir dire, oui moi aussi j’y étais à cette classe verte, j’avais même des photos à la maison ! Ces photos dont personne n’avait jamais su me dire où c’était, ni qui c’était. Mes parents ne s’en rappelaient pas. J’avais ce sentiment d’avoir été la seule à me rappeler de choses qui m’avaient marquée.

Virginie et Ingrid parlaient en articulant comme quand j’étais en primaire. Je me suis retrouvée projetée dans le passé. Comme si les 30 années qui venaient de passer n’avaient pas compté. je n’ai pas rencontré de difficulté à suivre leurs conversations.
J’avais jamais imaginé que je pourrais les revoir un jour. Étant petite, je ne pouvais pas me projeter dans le futur : je ne connaissais aucun adulte sourd oraliste, alors comment imaginer devenir une adulte à son tour.

Après tout ce temps, je me rends compte que j’ai poursuivi ma scolarité dans un établissement différent de mes meilleures amies. À 10 ans, j’ai été séparée de mes meilleures copines puisqu’elles n’allaient pas dans le même collège que moi qui allais dans un collège qui accueillait des sourds en intégration.

La communication téléphonique

La possibilité de rester en contact avec elles était impossible. Les moyens de l’époque ne me le permettaient pas. Le téléphone, le minitel n’étaient pas si développés quand j’avais 8 ans. Et de toute façon, on n’aurait jamais permis à des petites filles de 8 ans de communiquer par le biais d’un outil si « moderne », et si peu répandu.
Pas de téléphone mobile pour envoyer des sms, … C’est là où je me rends compte que la technologie a tellement évolué. C’est grâce à Internet que je les ai retrouvées, c’est grâce à ce réseau si puissant que j’ai pu retrouver des personnes à qui j’étais énormément attachée.
Ce matin j’ai rendu les 3 billes à ma meilleure copine qui m’avait aidée à en remplir toute une valise à la récré. C’était de sacrées retrouvailles. Je n’attendrai pas 10 ans pour les revoir. C’était bon de me retrouver avec elles comme si c’était hier.

 

Je vous souhaite par la même occasion, une belle et heureuse année 2016 !

5 réflexions sur « On ne s’était pas dit rendez-vous dans 30 ans, et pourtant … »

  1. Récit très émouvant. L’instit qui cache sa bouche… J’y ai eut droit aussi. De mon côté, j’y ai vu de la méchanceté. Mon instit avait la gifle et les coups faciles… Je n’ai jamais rien dit.

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