Retour au monde sonore : l’activation

Ma date d’activation a été maintenue à ce lundi 5 décembre. J’en avais pas trop parlé de peur que cette date soit modifiée suite à mon hospitalisation. On parle d’activation car les implants cochléaires posés durant l’opération sont inactifs et sont appairés avec les processeurs.

Après une bonne nuit de sommeil qui est salvateur pour mon état d’esprit de ce matin. J’étais sereine. Dès mon réveil, je me suis préparée avant la valse des passages : infirmiers, aide-soignants, médecins.  Prête à partir à 9h30, j’ai même eu le loisir de tricoter un peu. J’ai réalisé que j’étais confiante, j’arrivais à me concentrer sur mon tricot.

Mon mari est arrivé à ce moment, nous avons pu discuter tous les deux de tout et de rien. Je me suis rendue compte qu’il était plus stressé que moi ! Je peux le comprendre, je lui ai tellement rebattu les oreilles avec mes implants cochléaires qu’il a été comme une éponge qui absorbait tout sans rien rendre.

Le transfert : changement de bâtiment

À l’arrivée du brancardier, ce dernier cherche mon dossier (Ah la faute aux deux noms, le nom de jeune fille et d’épouse, quel bintz !). Je me rends compte que l’émotion monte, les mains commencent à trembler, je sens que mes jambes flageolent. Je suis couverte comme un esquimau pour éviter d’attraper froid pendant le passage d’un bâtiment à l’autre à pied avec ma petite perfusion que j’ai avec moi H24.

Arrivés au rendez-vous, l’émotion monte encore d’un cran. J’ai soif comme si j’avais traversé un désert, je trouve un pichet d’eau, je me jette dessus. Toujours confiante mais je ne sais toujours pas ce que je vais entendre.

La régleuse nous fait entrer dans son bureau. Je vois qu’elle a tout préparé, mes processeurs avec mes antennes sont sur la table, reliés à son ordinateur, deux mallettes énormes à côté de son bureau. Ils sont prêts à être utilisés. J’essaie de plaisanter pour détendre l’atmosphère, mais c’est de plus en plus difficile émotionnellement.

L’oreille droite

Je me mets à l’aise malgré ma perfusion, on met en place le processeur de droite. Je suis troublée, je perds mes moyens. Elle me rassure que ce n’est pas allumé. Nous procèderons d’abord à l’allumage des électrodes et ensuite au calibrage des processeurs.

Dans un premier temps, elle vérifie que les électrodes marchent toutes. Oui, les 22 électrodes de la droite marchent parfaitement. Son ordinateur a récupéré le signal. Je la regarde, elle me rassure avec un grand sourire en me disant « ça marche ! » et que c’est normal que je n’entende rien.

La régleuse me montre une feuille avec différents états tels que « bruit très faible, faible, confortable, trop fort ». Je dois lui dire quand je perçois le premier signal sonore.

On commence, ma concentration augmente de plus en plus. Je ne sais pas à quoi m’attendre, je cherche un son que je dois identifier, je la regarde dans les yeux. Elle comprend que je suis perdue, elle me montre le rythme du signal sonore en mimant le son tel un métronome.

Mon mari me caresse le bras en signe de soutien, me le serre de temps à autre quand il voit que je vais flancher.

Je me concentre davantage et j’entends enfin le premier signal très faiblement. Elle le note, et commence à augmenter l’intensité de ce dernier jusqu’à ce que ce soit confortable. On recherche dans un premier temps le niveau sonore que l’on doit pouvoir tolérer sans avoir mal.

On doit répéter cette procédure 22 fois de suite, pour l’oreille droite. Je trouve cet exercice long, arrivée à mi-parcours du calibrage de l’oreille droite, je lui demande où on en est, elle me dit qu’on a fait la moitié. Je prends sur moi. Concentration au maximum, se concentrer sans regarder l’écran, essayer de retrouver ce repère si rythmé et lui dire inlassablement…

L’oreille gauche

Elle éteint mon processeur droit, m’installe le processeur gauche. On recommence à faire le calibrage comme pour l’oreille droite. C’est la même procédure de vérification, toutes les électrodes à gauche marchent elles aussi. La régleuse sourit. Je suis rassurée. Nous repartons pour un calibrage de 22 électrodes.

Le calibrage des électrodes se font du plus grave au plus aigu, le plus grave étant vers le début de la forme en escargot de la cochlée, les aigus à l’autre extrémité de l’escargot qui est la cochlée. Une électrode correspond à une fréquence sonore qui va du plus grave au plus aigu.

Je me rends compte que ma patience diminue, je commence à flancher. Je suis fatiguée d’être attentive surtout avec les petites nuits que j’ai faites dernièrement à l’hôpital.

Je me tiens la tête pour pas craquer.  Après un verre d’eau, une petite pause, j’essaie de me détendre, on continue à calibrer les électrodes une par une.  Toujours battre le fer quand il est chaud !

Décollage vers le monde sonore imminent

Toutes les électrodes sont activées et calibrées. Je n’ai toujours pas entendu. Le retour au monde sonore est pour bientôt. La régleuse allume par le biais de son ordinateur les processeurs que j’ai aux oreilles et qui sont reliés par un fil.

La première impression est déroutante. Je ne reconnais rien. Je supporte pas le son qui est trop fort. On baisse le niveau au maximum, malgré mes indications d’avoir un son « confortable » lors du calibrage.

En même temps, après avoir passé 19 jours dans le silence, ça fait beaucoup d’informations sonores à emmagasiner d’un seul coup.

Ce sont des nouveaux bruits que je ne reconnais pas. Ma voix n’est pas celle que je connaissais. Les voix de mon mari et de la régleuse sont pareilles. Les bruits environnants ressemblent aux voix. Tout est au même plan sonore.

Je suis déroutée. Je ne m’attendais pas à une telle onde de choc même si je m’étais bien préparée psychologiquement, qu’on m’avait dit que c’était différent, mais à aucun moment je n’ai imaginé que je ne reconnaîtrais pas ma voix.

Les nerfs lâchent. C’est tellement différent de ce que j’ai en mémoire. Je me rends compte du chemin que j’ai parcouru jusqu’à aujourd’hui avec mes appareils auditifs, et qu’il va falloir tout recommencer.
Aucune similitude avec les sons d’avant.

Je suis telle Christophe Colomb prête à coloniser ce nouveau territoire vierge qu’il va falloir cartographier. Redessiner la carte du monde sonore.

La régleuse tape dans ses mains, je reconnais le bruit qu’elle fait. J’arrive à associer ce que j’entends au mouvement que je vois. Elle fait cliquer ses clés, je n’y arrive pas, c’est bien trop aigu. Mon cerveau ne connaît pas les aigus, il ne les a jamais connus. On refait le test en tapant sous la table sans que je voie si ça tape ou pas. J’arrive à reconnaître le bruit. Mais je ne suis pas capable de dire si c’est fort ou pas. Tout est au même niveau sonore.

On fait le test de la liste des mots cachés, c’est une liste qu’elle lit en se cachant la bouche. Je ris jaune. Je n’ai jamais aimé ce test… Elle lit une première fois les mots en me les montrant du doigt. Je me concentre. Elle en redit quelques uns sans me les montrer que je reconnaîtrai vaguement.

On essaie avec 4 mots à avec des syllabes différentes (j’ai oublié le premier mot, radis, pyjama, hipopotamme). Je reconnais les mots grâce au nombre de syllabes mais pas à la mélodie sonore du mot. Le chemin va être long, mais je pense que ça va être super après.

Le retour à la chambre

On finalise les papiers et nous repartons vers la chambre. Le rendez-vous aura duré 2h30, je suis épuisée, vidée de toute mon énergie mais je garde mes processeurs jusqu’au soir.

En attendant le brancardier, je me rends compte que j’arrive à entendre les personnes qui marchent avec des chaussures de ville dans le couloir, je les entends arriver de dos. Ce qui n’était pas le cas avant.

Le monde sonore que j’avais avec mes appareils auditifs a disparu au profit de ce nouveau monde sonore à apprivoiser.

 

– Je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
– C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… »
– Créer des liens ?
– […] Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. […] Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
– S’il te plaît… apprivoise-moi ! dit-il.

Le Petit Prince de Saint-Exupéry

35 réflexions sur « Retour au monde sonore : l’activation »

  1. Chapeau bas pour cette belle restitution ! J’ai eu ma première activation- »la fête des electrodes »- il y a 3 ans (le 12 décembre exactement !) et à travers tes lignes, c’est tout à fait ce que j’ai vécu !
    Chapeau bas pour t’être lancée en une fois dans cette double implantation ! J’ai fait la 2e oreille un an après ! Et c’est que du bonheur !
    Je pense que tu es bien partie ! Bonne rééducation ! Au plaisir de te lire ! Delphine alias Syndrush

    1. Merci pour ton message. J’ai essayé d’aller sur ton blog, ca marchait pas alors j’ai supprimé le lien. N’hésite pas à me le donner pour que je puisse aller voir à l’occasion 🙂

      1. je n’ai pas la même ténacité que toi pour le blog. J’ai lâché l’affaire depuis deux ans au moins et même si je repense à l’alimenter, j’avoue j’ai la flemme. Je n’ai pas pu répondre à ton commentaire sur le coup car j’avais oublié mes codes d’accès. C’est te dire ! Mais promis, si ça revient, je te fais signe ! 😉

  2. Bonsoir Sophie,
    que d’émotions en te lisant ! Ce jour est arrivé et tu vas découvrir tant de choses plus ou moins bien c’est sur. Je te souhaite les meilleurs
    Tes oreilles n’ont pas vibrés et pourtant… Je suis ravi que la connexion soit faite et que tu puisse entendre quelquechose… Tout à apprendre peut être, un renouveau en sorte. J’espère que ton apprentissage sera agréable – en tous cas supportable – Bon retour chez toi.

    De grosses bises d’un type, inconnu, qui vibre de tes récits, aventures et décisions (preuve d’un courage immense).

    Christophe

  3. Beaucoup d’émotion, beaucoup de nouveautés, quel parcours Sophie.
    Je te souhaite le meilleur avec la patience et l’énergie pour explorer ce nouveau monde mais tu en es plus que capable. Mille baisers.

    1. Merci Marjolaine d’être un soutien même si tu es loin dans ta Bretonnie, ça compte pour moi. Embrasse les pin’s pour moi.
      J’ai bien l’intention de découvrir ce nouveau monde y compris aller en bretagne redécouvrir le ressac de la mer sur les falaises ou les rochers. <3

  4. Ton écriture est tellement agréable à lire, c’est un plaisir de découvrir pas à pas ce que tu a vécu et ressenti lors de cette activation! Je te vois essayant de faire de l’humour pendant un moment si intense 😉
    Hâte de découvrir la suite. Mille mercis de ce partage!

    1. La suite viendra en temps voulu, chaque étape doit être digérée ensuite rédigée dans mon petit cahier et enfin retranscrite sur l’ordinateur.
      Ca me permet de vous faire des récits agréables à lire avec ou sans humour.
      A très vite j’espere Marie 🙂

  5. Je te lis depuis quelques temps et ton récit est des plus émouvant. Nous ne nous rendons absolument pas compte nous les « entendants » ce que peut être le silence et le contraire. Je ne pensais vraiment pas que la perception pouvait être si différente entre les appareils et les implants. Tu es vraiment courageuse et je te souhaite plein de belles choses. À bientôt.

  6. Oui, beaucoup d’émotion en lisant ce billet !
    Que de compliments reçus…….tu les mérites tant !…. Je suis tellement contente pour toi ….
    une bonne grosse bise.

  7. Je ne peux qu’imaginer ce que tu vis en ce moment, mais tes mots si biens écrits permettent de s’en faire une bonne idée. Toujours aussi émouvant lorsque tu parles de toi. Bon courage

    Et du coup, va peut-être falloir penser à une nouvelle rubrique sur le site

  8. C’est une sacrée aventure que tu vis là.
    J’ai du mal à imaginer ce que tu vis, physiquement et psychologiquement, mais ton récit me touche énormément.
    Bon courage pour ta réappropriation du son, je suis sûr que tu vas vers du bon. Un pied devant l’autre 😉

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